Lycée Lavoisier

Lycée Enseignt General Et Technologique – Mayenne

Pays de la Loire
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Le vendredi 16 octobre 2020, veille des Vacances de Toussaint, nous apprenions avec une très grande tristesse la mort d’un professeur, Samuel Paty, assassiné par un terroriste pour avoir étudié des caricatures en classe. Nous avons pensé à lui et à sa famille en cette terrible épreuve. Nous avons pensé à son collège. Nous avons pensé à l’École française qui a été directement frappée par cet acte odieux. Samuel Paty s’était donné pour travail d’apprendre à ses élèves à devenir des citoyens libres et éclairés, et exerçant leur liberté d’expression. Nous ne pouvons accepter une telle barbarie. C’est pour cela qu’aujourd’hui nous lui rendons hommage.

Le 14 octobre 2022

Le proviseur

Pierre Delahaye


Pour l’hommage rendu en 2020 il avait été choisi une lecture, celle d’un extrait de la Lettre aux Instituteurs qu’une des grandes figures de la République française, Jean-Jaurès, a publié dans les débuts de la Troisième République au moment où l’École est devenue obligatoire en tant que pilier de la République. Jean Jaurès est resté dans la mémoire commune comme un des grands porteurs du progrès social, du combat contre l’obscurantisme raciste, antisémite et nationaliste. Il a été assassiné en menant comme homme politique et écrivain son dernier combat en faveur de la paix.

Jean Jaurès a commencé sa carrière comme professeur et a été amené à ce titre à publier une lettre destinée aux jeunes étudiants instituteurs. Dans cette lettre, il explique l’importance pour les enfants d’acquérir l’accès au chemin de la liberté. Devenir homme s’apprend. C’est la noblesse du travail réalisé au quotidien par les enseignants de France.

Lettres aux instituteurs et institutrices

Aux Instituteurs et Institutrices

Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire et à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse.

Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort.

Eh quoi ! Tout cela à des enfants ! — Oui, tout cela, si vous ne voulez pas fabriquer simplement des machines à épeler. Je sais quelles sont les difficultés de la tâche. Vous gardez vos écoliers peu d’années et ils ne sont point toujours assidus, surtout à la campagne. Ils oublient l’été le peu qu’ils ont appris l’hiver. Ils font souvent, au sortir de l’école, des rechutes profondes d’ignorance et de paresse d’esprit, et je plaindrais ceux d’entre vous qui ont pour l’éducation des enfants du peuple une grande ambition, si cette grande ambition ne supposait un grand courage. […]

Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale, il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. De ce que l’on sait de l’homme primitif à l’homme d’aujourd’hui, quelle prodigieuse transformation ! et comme il est aisé à l’instituteur, en quelques traits, de faire sentir à l’enfant l’effort inouï de la pensée humaine ! […]

Je dis donc aux maîtres, pour me résumer : lorsque d’une part vous aurez appris aux enfants à lire à fond, et lorsque d’autre part, en quelques causeries familières et graves, vous leur aurez parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine, vous aurez fait sans peine en quelques années œuvre complète d’éducateurs. Dans chaque intelligence il y aura un sommet, et, ce jour-là, bien des choses changeront. »

Jean Jaurès, La Dépêche, journal de la démocratie du midi, 15 janvier 1888.